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Les perspectives
d'utilisation des cellules ES sont très nombreuses. Nous
traiterons ici de six utilisations des plus prometteuses:
la plus médiatique est sans doute la néosynthèse
d'organes et de tissus et
leur transplantation, mais nous parlerons aussi de leur utilisation
pour la thérapie
génique, pour des tests
pharmacologiques, pour accélérer
la recherche
sur les protéines humaines, pour l'étude
des premiers stades de l'embryogénèse humaine,
et enfin pour la régénération
tissulaire et le freinage du vieillissement.
Néosynthèse
d'organes et de tissus
Cette utilisation fait rêver bien plus d'un
chercheur. Son principe est simple à comprendre: à
partir d'une culture cellulaire de cellule ES, on
forcerait une différenciation en un organe.Qui ne
souhaiterait pas un tel progrès ? Mais attention, on est
malheuresement bien loin de tels résultats. Plusieurs
problèmes se posent aux chercheurs, dont certains sont
de taille. Tout d'abord, il faudrait savoir si on arrive
à cultiver durablement les cellules ES humaines. En
effet, ces recherches sont souvent encore interdites dans
beaucoup de pays à cause de lois qui malheuresement
n'évoluent pas aussi vite que la science. Ce que l'on
peut supposer aujourd'hui, c'est que les cellules ES
humaines se comportent comme les ES de souris. On a
certes obtenu des ES humaines en culture, mais jamais
jusqu'au stade de tissus individualisés. Les premières
expériences sur la différenciation des cellules ES ont
suscité pleins d'espoirs chez les chercheurs mais les
ont aussi mis face à leur ignorance et face à la
montagne de travail encore à accomplir. En faisant donc
l'hypothèse que les ES humaines soient analogues à
celles de souris, on peut légitimement espérer que l'on
arrivera à faire du tissu humain en culture que l'on
pourra ensuite retransplanter.
Le premier problème, est de récupérer correctement les
cellules ES humaines. En effet, chez les primates, la
couche externe du blastocyste est bien plus dure et
résistante que chez la souris qui est le modèle animal
le plus utilisé. Ne se rompant pas aussi facilement, le
blastocyste n'est pas facile à ouvrir sans altérer la
masse cellulaire interne. Ce problème est cependant
surmontable notamment par de la patience et de la
minutie.
Le second problème, et non le moindre est de contrôler
la différenciation des cellules ES. Ce problème peut
être diviser en deux sous-problèmes: sur quel milieu
cultiver les ES, et comment induire la différenciation
voulue. La question du milieu de culture, qui peut
sembler à première vue facile, ne l'est pas tant que
ça. Comment reproduire artificiellement les conditions
présentes dans l'embryon ? Les milieux de culture
utilisés pour les cultures cellulaires humaines sont
inadaptés aux cellules embryonnaires. Actuellement, les cellules ES sont
cultivées sur milieu nourricier de souris, mais ce
milieu suffira-t-il pour arriver à une différenciation
plus poussée ou plus spécifique que celles
jusqu'auxquelles on arrive actuellement ? Ce n'est pas
sûr. Ensuite, la grande inconnue du moment est de savoir
comment pousser les cellules ES que l'on cultive vers
telle ou telle voie de différenciation. Autrement dit,
quels sont les signaux qui font que dans le
développement embryonnaire certaines ES deviennent des
cellules cardiaques et d'autres des neurones ? Des
équipes ont déjà commencé à travailler sur ce
problème. Voici quelques résultats: un facteur, le LIF
(Leucemic Inhibiting Factor) semble être nécessaire à
la conservation de la pluripotentialité et à une
différenciation ordonnée; des cellules traitées par de
l'acide rétinoïque (un dérivé de la vitamine A) se
transforment en neurones, d'autres facteurs ont permis
d'obtenir des cellules primitives des cellules sanguines,
d'autres cellules ont l'air de se différencier au
contact d'un autre type cellulaire en différenciation;
enfin on suppose que certaines autres se
différencieraient par absence de signal spécifique (voir schémas
explicatifs).Les recherches actuelles permettent
d'espérérer dans un avenir pas trop lointain les types
cellulaires suivant: cellules sanguines, neurones,
cellules des îlots de Langherans (sécrétrices
d'insuline pour traiter les diabétiques), fibroblastes
(pour traiter les brulés), chondrocytes (synthèse de
cartilage pour traiter l'arthrite), cellule endothéliale
(constituant les vaisseaux sanguins pour traiter
l'athérosclérose), cellule musculaire cardiaque (pour
réparer les lésions d'infarctus). Une autre approche a
été d'injecter des cellules ES dans une souris adulte
en supposant que les facteurs exprimés chez la souris
pour la régénération tissulaire auraient un effet de
différenciation sur les ES. Une partie de l'article de
J.Thomson du 6 novembre 1998, révêlant l'obtention de
cellules ES humaines raconte une telle expérience. Des
cellules ES humaines injectées sous la peau d'une souris
ont donné de l'épithélium tapissant normalement
l'intestion, de l'os, du cartilage, du muscle et même un
précurseur du tissu nerveux. Une autre expérience a
été réalisé en injectant des ES dans le cerveau d'une
souris. On a obtenu des cellules avec des prolongement
axonaux ressemblant à des neurones, certaines cellules
possédant même l'enzyme nécéssaire à la synthèse de
dopamine. Cependant on ignore si les neurones ainsi
obtenus sont fonctionnels et on ignore aussi pourquoi on
obtient le même type de cellules avec une injection d'ES
près des reins.
Cependant, une fois maîtrisé le problème de la
différenciation, se pose un autre problème: le
contrôle de la pureté tissulaire. En effet, il faut
s'assurer avant une éventuelle transplantation que le
tissu néoformé ne contient que le bon type de cellules.
Il ne faudrait pas en transplantant des cellules
sécrétrices d'insuline à un diabétique lui
transplanter des chondrocytes qui transformerait son
pancréas en bloc de cartilage. Plusieurs techniques
aujourd'hui utilisées dans d'autres domaines de la
recherche notament en génétique, pourraient être
employées. On incluerait conjointement à un gène ne
s'exprimant que dans le tissu voulu, un gène de
résistance à un antibiotique. Après la
différenciation, on passerait la culture à
l'antibiotique et seules les cellules exprimant le gène
de résistance, c'est à dire les cellules du type
cellulaire désirée, survivraient.Chez la souris, la
résistance à l'antibiotique a été testée pour des
"cellules ES" cardiaques qui, une fois
transplantées dans un coeur de souris, sont restées
viables sept jours. Ce concept fonctionne déjà en
génétique mais il faudra au début s'assurer qu'il
fonctionne pour les cellules ES humaines, et vérifier
qu'on obtient des cultures pures à au moins 99%.
L'avant-dernier problème
qui se pose au chercheur est d'éviter le rejet des
tissus obtenus à partir des ES. En alliant la culture
des cellules ES au clonage, on obtiendrait des cellules
ES compatibles avec l'individu qui en a besoin (voir schéma explicatif).
Mais cette technique n'a jamais été essayée et n'est
pas en passe d'être réalisée puisqu'elle reviendrait
à créer un embryon pour lui prendre sa masse cellulaire
interne ce qui n'est pas autorisé par la législation ni
l'éthique (voir la partie correspondante). D'autres
techniques seraient plus acceptables. La suppression de
l'expression du système majeur d'histocompatibilité
(système responsable de l'identité propre de chaque
individu et responsable du rejet des greffes) des tissus
dérivés d'ES permettrait d'avoir des lignées de
transplantations universelles. Le transfert de noyau
d'une cellule humaine dans un ovocyte (ovule) énuclé
(débarassé de son noyau) de mammifère et la culture
jusqu'au stade blastocyste permettrait d'avoir un
blastocyste qui ne soit pas un humain potentiel. Mais on
ne sait pas si un tel développement est possible et
l'obtention d'un blastocyste mi-homme mi-animal poserait
de graves problèmes scientifiques, législatifs et
éthiques.La reprogrammation nucléaire d'une cellule
somatique (cellule différenciée par opposition aux
cellules germinales) en prenant son noyau que l'on met
dans le cytoplasme de cellules ES, en fabriquant une
sorte de cellule ES hybride qui est compatible avec
l'organisme donneur de la cellule somatique,
court-circuiterait le problème de la création d'embryon
que pose le clonage. Mais on ne sait pas si le cytoplasme
des cellules ES contient toutes les substances
nécéssaires à la reprogrammation du noyau de la
cellule somatique (à sa
"dédifférenciation").
Enfin, il subsiste un problème qui malheuresement n'est
pas anodin. Les expériences décrites précédemment
ont, pour certaines, mal tourné. Les expériences
d'injections de cellules ES chez l'animal ont certes
montré une différenciation intéressante, mais au delà
de cette différenciation des cellules cancéreuses sont
très vite apparues. Les cellules ES de souris sont ainsi
tumorigènes (c'est à dire susceptible de donner une
tumeur) et peuvent donner un tératome (tumeur qui se
développe mais garde la capacité de se différencier)
ou un tératocarcinome (tumeur d'un épithélium) quand
on les injecte dans la souris adulte. Or il n'y a aucune
raison pour que les cellules ES humaines agissent
différemment.
En conclusion, on peut dire que la fabrication in vitro
de tissus est envisageable, bien qu'il existe aujourd'hui
un bon nombre de problèmes à résoudre. En revanche la
fabrication in vitro d'un organe est actuellement
impensable car l'assemblage tridimensionnel des tissus y
est extraordinairement compliqué et en pratique
irréalisable en culture.
Utilisation
en thérapie génique
Cette application est dérivée de la précédente. Elle
consiste lors du développement in vitro des cellules ES
à reprogrammer certains de leurs gènes par les
techniques utilisées actuellement en génétique, puis
à transplanter ce tissu génétiquement modifié à la
place du tissu défectuex. Certaines maladies
génétiques pourraient ainsi être combattues par un
changement local du tissu où s'exprime l'anomalie
génétique.
Utilisation
pour des tests pharmacologiques
Les cellules ES en culture miment assez fidèlement les
tissus humains. On pourrait donc s'en servir pour
expérimenter la toxicité des médicaments. Cet
utilisation est fondée et éthiquement respectable,
étant donné que les cellules ES en culture sont
incapables de donner un être vivant. On n'affecte donc
pas un "futur homme en cours de développement"
avec ces tests. De plus de tels tests sont aujourd'hui
pratiqués lors des essais cliniques de phase 1 sur des
personnes volontaires. Une telle utilisation éviterait
ces tests de toxicité chez l'homme.
Les cellules ES en cours de développement miment aussi
le développement embryonnaire, du moins dans ses
premiers stades, et on pourrait ainsi étudier l'effet
tératogène de certaines substances (effet néfaste sur
le foetus de substances administrées à la femme
enceinte ). De telles expériences ne sont bien
évidemment pas réalisées dans l'espèce humaine et on
doit se contenter de réultats expérimentaux obtenus
chez l'animal (dont l'embryogénèse peut différer de la
notre) ou de constatations à posteriori dans notre
espèce, constatations toujours dramatiques car
établissant un effet tératogène après la naissance de
centaines d'enfants exposés à la substance
considérée. C'est le cas de la Thalidomide, médicament
administré à des dizaines de milliers de femmes dans
les années 60 contre les nausées et les vomissements,
et aux effets tératogènes maintenant fermement établis
suite à beaucoup de naissances anormales (certains
enfants sont nés sans membre). Des essais sur des
cultures de cellules ES permettraient de mettre en
évidence ces effets, sans les conséquences
catastrophiques qu'ils engendrent sur les grossesses.
Utilisation
pour la recherche sur les protéines humaines
De telles expériences nécessitent beaucoup de
protéines. Les recherches en plein essor consistent à
isoler les protéines spécifiques de tel ou tel tissu.
On utiliserait les cellules ES pour produire suffisament
de protéines pour qu'on puisse les isoler et les
étudier.
Utilisation
pour l'étude des premier stade de l'embryogénèse
Les connaissances actuelles en matière d'embryologie
sont loin d'être négligeables. Cependant, elles
découlent soit de l'étude de foetus humains avortés
naturellement soit pour l'aspect dynamique et
développement au cours du temps, de modèles animaux
(amphibiens notament). L'observation des cellules ES
humaines en train de se diviser et de se différencier
permettra d'approfondir les connaissances sur les
premiers stades du développement embryonnaire humain
Utilisation
pour la régénération tissulaire et la lutte contre le
vieillissement
Cette application est aujourd'hui totalement du domaine
de la science-fiction, contrairement à celles citées
précédemment. Cependant, elle n'est pas infondée
scientifiquement et déboucherait sur des retombées
intéressantes (en particulier financièrement, c'est
pourquoi quelques entreprises privées engagent des
recherches dans cette voie). L'idée serait d'injecter
des cellules ES au sein d'un organisme adulte afin
qu'elles remplacent des cellules vieillies. Cette
hypothèse se heurte à de nombreuses inconnues
scientifiques en partie commune au développement de
tissus in vitro (voir la première utilisation).
Cependant, face à l'espérance de découvrir une
fontaine de jouvence des recherches se développent;
elles n'en sont qu'à leurs balbutiements.
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